jeudi 19 janvier 2017

Le CETA et l’eau

Le CETA et l’eau






On peut lire dans l'article, 1.9  du CETA que « l'eau dans son état naturel (…) ne constitue pas une marchandise ou un produit. » De fait, on pourrait penser qu’elle échappe aux règles de ces accords commerciaux.  Or, il est bien possible que ceci n’aille pas de soi…
Ceci n’est pas sans rappeler la directive cadre européenne de 2000 qui affirme que l’eau n’est pas une marchandise « comme les autres ». En précisant « comme les autres », on sous-entend qu’elle estquand même une marchandise. Et cela peut ouvrir la porte à interprétation future.
Ici, il en est de même, en précisant « dans son état naturel », on ouvre la porte à de nombreuses interprétations. Si par exemple, on pompe de l’eau qui ne correspond pas aux critères de potabilité et qu’on la transforme ensuite pour la rendre potable, est-ce qu’elle est encore dans son état naturel ?
Il en est de même pour l’assainissement : l’eau n’est plus dans son état naturel. Cela relève-t-il du marché ?
Ou dès lors que l’on extraie l’eau de son environnement naturel, pour en faire usage dans certaines activités (irrigation agricole, industrie, production d’énergie... ), est-ce qu’elle est encore considérée comme étant dans « son état naturel » et de ce fait est-ce qu’elle est toujours exclue de cet accord?
Par l’ajout de cette nuance, l'eau pourrait donc être considérée comme un bien et un produit, et donc être soumise aux règles du CETA. 
Pour éviter ça, on pourrait faire simple dans la rédaction des directives et traités ou accords. On pourrait écrire :
-          L’eau, bien commun de l’humanité, elle n’est pas un bien marchand.
Ou à l’instar de l’Assemblée Générale de l’ONU en juillet 2010

-          L’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires est un droit humain fondamental.




La Commission européenne pourrait exclure définitivement l’approvisionnement de l’eau, l’assainissement et l’élimination des eaux usées des règlements sur les marchés internes et de tout accord commercial, tout simplement. On n’en parlerait plus et on saurait sur quel pied danser.

Mais ce n’est pas le cas. Et si à chaque fois des nuances sont apportées, ce n’est pas sans raison.

C’est parce des multinationales (transnationales) et leurs lobbys œuvrent en sous-main pour une marchandisation de l’eau et qu’une certaine idéologie règne au sein des commissions européennes.
Les entreprises, on les comprend, elles se ménagent des marchés potentiels. Leur seul objectif est la recherche de profits, pas de préserver le bien commun. Mais la Commission Européenne, comment comprendre tant de réticences à exclure l’eau de tout marché et un tel empressement à la faire entrer dans les règles du marché dès que l’occasion se présente ?
Parce que régulièrement, la Commission Européenne tente d'introduire les mécanismes du marché dans la politique de l'eau. L'idée que les droits de l'eau devraient devenir commercialisables, au nom de l'efficacité économique, n’est jamais perdu de vue.
On le voit avec la Grèce qui a dû privatiser ses services publics de l’eau. Le Responsable du bureau de la Grèce pour la Commission des Affaires Economiques et Financières, expliquait que ça réduisait ladette publique, permettrait d’augmenter « l’efficacité des entreprises, et, par extension, la compétitivité de l’économie dans son ensemble, tout en attirant les investissements directs internationaux ». Avec une telle vision, on ne doit pas être en capacité de comprendre ce qu’est une régie publique de l’eau !



Et dans notre accord CETA, nous sommes justement dans le cadre de la protection des investissements évoqués par ce haut-responsable.
Dans le CETA, l’UE se dit prête à un élargissement du champ d’application des services et des concessions de service. Ça ne concerne pas l’eau.
Mais ça ne concerne pas l’eau tant que qu’il existe une exclusion pour l’approvisionnement en eau dans la directive européenne sur les Concessions de 2013, exclusion gagnée notamment par la mobilisation des citoyens et collectivités allemandes, exclusion dont la pertinence doit être revue en avril 2019.
Donc, si la Commission revient sur l’exclusion de la directive Concession en avril 2019 qu’en sera-t-il pour l’eau dans le CETA ?
On peut vraiment craindre une entrée dans l’élargissement du champ d’application des services et concessions de service si la seule vision des commissions européennes n’est basée que sur cette vision « marchandisable » de l’eau.
Le CETA nous pose d’autres questions sur de nombreux points.
Les pesticides et le principe de précaution, par exemple.Actuellement, nous payons fort cher la dépollution de l’eau et notamment le retrait des pesticides. Les conséquences sur la santé peuvent être énormes. Par ailleurs, on sait qu’il coûte moins cher pour la collectivité de ne pas polluer que de devoir dépolluer. Si son acceptation débouche en plus sur une révision de la liste des pesticides autorisés, et sachant que le principe de précaution n’existe pas dans le CETA, qu’en sera-t-il dès lors que l’on voudra remettre en question l’usage et la liste des pesticides autorisés ?
Nous devons être assurés que le principe de précaution sera pris en compte par le CETA ! Dans la perspective d’une protection des ressources en eau, le renforcement du principe de précaution comme principe directeur pour l’avenir est d’une importance capitale.
Autre point : la possibilité pour une Régie publique de travailler avec d’autres régies sur plusieurs communes sur un mode coopératif et de mutualisation sera-t-elle encore possible dès lors que certains considéreront ces espaces comme un marché soumis à la concurrence et donc au mode compétitif ?
Les règles du CETA n’entraveront-elles pas le travail en commun à effectuer pour la dépollution des eaux de de surface, la sanctuarisation des champs «captants» ?
Ou encore, imaginez que nous voulions récupérer et réutiliser des substances présentes dans les eaux usées pour les valoriser en énergie dans le cadre d’une politique d’auto-suffisance. Est-ce que cela tombera dans le cadre du CETA ? Cette possibilité n’a pas été envisagée dans le CETA. Mais comme ça ne fait pas partie de la Liste Négative (ne sont exclus de l’accord que ce qui est listé aujourd’hui, tout le reste de cette liste non révisable est commerce) et que ça ne concerne pas l’eau dans son état naturel, devrions-nous nous en priver ou ouvrir cette activité au marché et aux investisseurs étrangers ?
D’autres points encore concernent directement l’eau, mais il est difficile d’en faire le tour dans un document de deux milliers de page rédigées en langage juridique. L’utilisation commerciale d’une source d’eau particulière ou les droits d’eau par exemple.
Ça concerne le droit de capter, de dévier, d'utiliser l'eau ou les permis de prélèvement d'eau. Actuellement, il est du ressort des États membres d'accorder un droit de prélèvement d’eau selon différents critères, non commerciaux.


Mais si les droits d'eau sont commercialisables et peuvent donc se transformer en «investissement » à protéger, la réglementation régissant ce commerce reviendrait au CETA. Cela pourrait avoir un impact très lourd sur l'agriculture et sur de nombreuses industries en Europe. Dans ces conditions, il est difficile de voir l'article 1.9 autrement que comme un outil supplémentaire en faveur d'une marchandisation accrue de l'eau.
Les raisons de s’interroger sur cet accord sont nombreuses. Par exemple sera-t-il possible de revenir en Régie public de l’eau, ici à Lille au terme d’une gestion impliquant une multinationale ? ou encore sera-t-il possible de mettre en place les premiers m3 gratuits correspondant aux besoins vitaux ?
Le CETA dans sa forme actuelle ou sous la forme qu’il pourrait prendre plus tard pourrait concernait l’eau contrairement à ce qu’on nous dit. Son exclusion n’étant pas assurée.
Il est grand temps que l’Union Européenne reconnaisse l’eau comme un comme bien commun et comme droit fondamental universel, un élément essentiel pour tous les êtres vivants. La privatisation et la marchandisation doivent être tenus à l'écart de ce bien vital, sa gestion doit être publique et collective, fondée sur la participation démocratique des citoyens et des travailleurs.
Sources :
European water movement  (http://europeanwater.org/fr/)  et  Food and water Europe,
http://europeanwater.org/fr/ressources/rapports-et-publications/673-le-ceta-et-l-eau-un-guide-destine-aux-militants